Christian Gonzenbach

Heavenly Basilica

Heavenly Basilica, 2018

rope

15 x 15 x 9 m

Le palais de Rumine est cette falaise qui surplombe la place de la Riponne, s'en approcher c'est s'exposer aux regards des sphinx, se frotter aux pierres rugueuses et aux bronzes oxydés. C'est une partie de varappe qui attend le courageux qui s'y aventure, visiter c'est escalader, gravir des escaliers, affronter le vent froid qui descend des cimes, et finalement se retrouver un siècle et demi en arrière ou à Rome.

Bien que s'élevant à la verticale, le Palais de Rumine n'est pas un temple, mais un bâtiment dédié au savoir et à sa transmission « d'utilité public » comme le voulait son légataire Gabriel. D'abord universitaire, l'édifice est devenu musée sans rien perdre de son aspect autoritaire et désuet. Architecture grandiloquente qui veut en imposer, on y entre comme on pénètre dans un lieu sacré, pour nous rappeler que nous ne sommes que de passage en ce monde, escaliers labyrinthiques, enfilade de salles, ornements massifs. Avant d'avoir pu accéder au contenu, on est déjà conditionné.

Est-ce que l'Homme est vraiment obligé de construire des palais ?

Pour l'Homme, construire a toujours été plus qu'une nécessité : une aspiration, un devoir, une vocation. On construit pour les vivants, on construit pour les morts. Et on construit pour l'esprit.

En structurant son environnement, Homo Sapiens s'invite au club des espèces sociales et bâtisseuses avec les fourmis, les abeilles et les autres termites. Pourtant, déjà au néolithique, les constructions humaines dépassent le cadre domestique et fonctionnel pour atteindre des niveaux grandioses et symboliques : pierres levées, dolmens et toutes les pyramides égyptiennes.

 

Bâtir des temples a toujours été la tâche la plus noble des architectes, quel que soit le culte, religieux, politique ou marchand. Le génie humain se concentre pour élever des cathédrales, construire plus grand que soi, la science mise au service de la verticalité. La complexité de la mise en oeuvre repose sur une solide hiérarchie sociale. Les chantiers dépassent la durée de vie de leurs concepteurs et des commanditaires. Plusieurs générations d'ouvriers se relaient dans ces tâches titanesques, n'entrevoyant le résultat qu'en imagination.

On construit pour l'éternel, reproduisant sur terre la Jérusalem Céleste.

Suspendu dans l'Atrium du Palais de Rumine, la «Basilique céleste » fait contrepoids au massif du bâtiment. Sa structure flotte légère sous la verrière, formant un dessin informatique, une maquette virtuelle, un reflet du Palais, mise en abyme de l'édifice, irréelle et pourtant déformée par sa propre gravité, insignifiante.

Par sa présence, l'esquisse questionne toutes ces construction majestueuses, ces pierres, ces palais, dont elle reproduit le schéma tout en inversant les codes de logique constructive. Conçu selon un plan classique symétrique avec abside et ordonnée, cette basilique n'est que dessin dans le vide, délimitant un espace inatteignable. Inversé, il se courbe selon la gravité, à l'opposé de ses modèles construits pour s'élever. C'est un temple, un palais, une serre, une termitière, une cathédrale, un observatoire, une centrale nucléaire. On découvre sa structure, d'abord par en-dessous comme une stalagmite dans une grotte. Le regard traverse l'oeuvre, se perd dans son tricot céleste et finalement se rattrape aux cordes, c'est bien d'y avoir pensé, quand on doit escalader une falaise.